Sunday 17 March 2013

Nouvelle


Nouvelle de Nina Randisi (2de5) pour le concours des 2des
 
Le pianiste
 
La pièce était plongée dans l'obscurité. Pourtant, il faisait jour et les volets étaient ouverts. Des gouttes de pluie se cognaient contre la fenêtre et descendaient en pleurant. De plus en plus vite, de plus en plus nombreuses. La pluie intensifiait son rythme. Elles dégoulinaient le long de la vitre pour se retrouver sur un petit rebord, réunies en de minces flaques. Le ciel était blanc, le soleil demeurait introuvable.

L’homme qui fixait la baie depuis un certain temps soupira longuement et lentement. Il s’assit sur le tabouret. Il tourna les petites manettes situées de part et d’autre de l’objet, et ses mains glissèrent tout naturellement sur le clavier. Une petite mélodie douce et apaisante s'échappa de l’instrument. Les harmonies accéléraient, ses doigts frappaient le piano. C'était un réel combat. Les notes s’accumulaient. Les accords. Les arpèges. Les octaves. Tout y était mêlé, mais laissait entendre un air saisissant, sombre, et nocturne à la fois. Ses doigts dansaient sur le clavier. Des harmonies vivantes et chargées d'émotion étaient propulsées dans l’air de la salle à manger. L’homme et le piano ne formaient plus qu’un.

Cela faisait, jour pour jour aujourd’hui, un an qu’Otto Dvoske n'était pas sorti de chez lui. Il consacrait ses journées à la musique. Il ne vivait plus que pour cela. Dans le passé, tout l’avait déçu, et il s'était recroquevillé sur lui-même. Il ne lui restait plus que la musique. Il s’acharnait sur son piano. L’instrument en savait plus sur lui qu’il n’en saurait jamais. Il réfléchissait en mélodies. Il ne pensait même plus, il s’exprimait, juste. Avec ses doigts. Il les laissait glisser sur les touches noires et blanches et les notes qu’il jouait parlaient à sa place.
Il avait longtemps espéré pouvoir devenir pianiste professionnel, mais malheureusement, le Monde voulait autrement. Ses doigts continuaient de parcourir le piano. Il secouait sa tête au rythme de la musique, laissait ses boucles blanches sauter dans les airs avant d’atterrir et de retrouver son crâne. Otto Dvoske avait les cheveux blancs mais il n’avait que trente-deux ans. Il avait vécu des choses qui avaient changé sa perception du monde et lui avait fait perdre espoir et toute confiance en lui. 

Quand il jouait, il s'évadait. De temps en temps, des souvenirs du temps passé lui revenaient. Les mélodies devenaient alors mélancoliques. La nostalgie cachée derrière les morceaux était lourde. Pesante, même. Il lui arrivait de s’emporter dans la musique. Il pleurait parfois de grosses larmes elliptiques et chaudes qui brouillaient sa vue. Cela ne l'empêchait pourtant pas de continuer.
Si seulement il n’y avait pas eu cette fichue guerre. S’il n’avait pas été déporté, où serait-il en cet instant présent? S’il avait refusé de porter ce brassard blanc... S’il avait réussi à s'échapper à temps avec ses enfants... S’ils n’avaient pas pris le train?... S’ils n’avaient pas été séparés? Mais il n’y avait pas que des “si”. Il y avait aussi des “la”, des “ré” des “mi”.


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