Sunday 9 June 2013

Nouvelles


Le chaos régnait. Partout. On tentait de sauver ses possessions, sa peau si on était moins bête, ou si l’on comprenait la situation plus clairement. Et puis il y en avait aussi, qui, toujours, derrière leurs bureaux, tentaient de sauver la république.
Il rentrait d’Orly, ou il venait de voire Dunderdale, un ami Anglais, qui était venu évacuer un polonais, très cher aux services de renseignements britanniques. Un coup d’œil lui avait fait comprendre que Dunderdale était désolé, mais que son petit avion officiel ne pouvait prendre personne d’autre. De toute façon, il n’avait pas envisagé cette solution pour fuir. Il aurait été porté déserteur. Même pendant une invasion on prend le temps de faire l’appel.
Vite, très vite, il avait rejoint le quai d’Orsay, et avait monté quatre à quatre les marches de l’escalier.
« Monsieur Langeron ? » Il avait demandé au fonctionnaire derrière le bureau.
« En bas, occupé à surveiller le chargement des péniches. » L’autre n’avait pas relevé le nez de son travail.
      Il était rapidement redescendu. Roger Langeron, préfet de police de Paris, supervisait effectivement le chargement des dernières caisses dans deux péniches à vapeur. Il n’avait pas l’air surpris de le voir.
« Vous allez avec eux. Il y a vingt-cinq kilos de dynamite avec tous ce fatras. Le conducteur connait la route, vous n’avez qu’à saborder. Personne ne doit avoir ces documents. » Ils descendirent ensemble dans une des péniches. Un homme installait un pavillon prioritaire, bien visible, sur le pont.
« Qu’est ce que c’est ? » Il ouvrit une des caisses. Elle était remplie de papiers.
« Tous les documents du quai. Et quelques autres. Ces caisses là, particulièrement, vous y faites attention. Ce sont toutes les fiches sur les familles juives qu’on a pu trouver. Ca n’empêchera rien, mais au moins ca les ralentira. Et puis, peut-être qu’il y en aura qui parviendront à passer entre les mailles du filet… »
« Monsieur le préfet ? » Un des gendarmes demanda, en rentrant à moitié à l’intérieur « Nous appareillons. »
Le préfet leur dit au revoir, les gendarmes et lui, en leur répétant de saborder la péniche s’ils étaient arrêtés.
« Il était temps. Les frisés seront là dans moins de deux jours. »
***
      L’écluse était en miettes. Des bouts de la porte flottaient sur l’eau, les bords du canal étaient éventrés, et l’eau coulait librement. Pour la péniche, en revanche, cela aurait été plus difficile de passer.
« Y’a pas a dire, c’est drôlement précis, leurs stukas. »
      Ils cachèrent la péniche dans des roseaux, sur le bord du Loing, et la sabordèrent.
« Voilà. Quelques tonnes de papier buvard en plus pour les poissons. »
« Qu’est ce qu’on fait maintenant ? » L’autre péniche avait pris un autre chemin. Avec un peu de chance, elle serait plus rapide que l’avancée allemande.
« Nous on doit marcher jusqu'à la gendarmerie. On fera notre rapport là. Vous venez avec nous ? »
Il réfléchit un moment. « Je vais me débrouiller, merci. Bonne chance. » Lui et les gendarmes partirent dans deux directions opposées, eux vers le sud-est, lui vers le nord-ouest.
Après vingt minutes de marche, par pure chance, il arriva à une intersection. Un groupe de mobilisés du centre s’y tenaient. Ils le prirent dans leur camion en échange de directions. Il avait eu la chance de s’ennuyer beaucoup, enfant, et de se distraire en apprenant les grandes routes de France par cœur. Ils seraient à Brest le 17 juin.
***
      Il se promenait sur le quai militaire, attendant, comme tous les autres. Peu de gens avaient des ordres, encore moins avaient les ressources pour les exécuter.
« Z’avez du feu ? »Un marin lui demandait, une cigarette à la main.
« En permission ? » lui demanda-t-il, en tendant son briquet.
« Non, coulé. Sabordé, plutôt. » Il lui rendit son briquet.
« Comment ça, sabordé ? »
« Ordres de l’amiral Darlan, le grand gourou. Tous les navires qui ne sont pas en état de prendre la mer doivent se saborder. Sinon, départ vers les Antilles, Dakar, ou un port anglais. La plupart partent vers les ports français. Sauf les sous-marins. Leur navire ravitailleur, le Jules Verne, est parti plus tôt, menant tambour battant neuf petits de 600 tonnes, et cinq gros de 1500 tonnes. »
« Il y en a encore qui restent ? »
Le marin ricana « Oui, si l’on veut ! Y’en a quelque uns sur lesquels les ingénieurs s’épuisent, pour les rendre étanches avant l’après-midi. Sinon, il y a le Surcouf, mais lui, on est même pas sur qu’il parte. »
      Le Surcouf n’avait pas été très dur à trouver. Il était en carénage, complètement à sec, pour réparations. Des jurons sortaient ostensiblement de ses entrailles, traitant éperdument le moteur de tous les noms possibles et imaginables.
      Un officier se tenait sur le bord, seul. Il se tourna vers lui tandis qu’il approchait.
« Un problème ? »
« Non, mon capitaine, mais je cherche à rejoindre l’Angleterre, et j’entends que vous partez. »
L’homme fit une grimace. « Vous n’êtes pas de la navale, vous. De toute façon, ca n’a pas d’importance. On ne peut pas y aller au diesel, et nous ne sommes pas sûrs de réparer les moteurs électriques. »
« Mais…si vous y arrivez ? »
Le capitaine réfléchit un instant. « Vous pouvez venir. Soyez ici à six heures du matin. Mais, je ne garantis pas qu’on parte. »
***
      Un cri collectif de joie fut poussé par les sous-mariniers lorsque, après plusieurs heures de harcèlement par l’équipe d’ingénieurs, les moteurs électriques daignèrent enfin donner signe de vie. Le sous-marin s’arma rapidement, et commença la traversée. Une large portion de la flotte française, ou, plus précisément, tout ce qui avait un canon, des marins, et était en état de flotter, partait en même temps qu’eux. Le plus impressionnant départ fut celui du Richelieu, l’énorme cuirassé, une des fiertés de la marine française, qui les dépassa allègrement.
« Quatre nœuds, quatre nœuds. » murmurait le capitaine « Je suis humilié. Le plus grand sous-marin du monde quitte le port, sur ses moteurs auxiliaires, incapables de plonger, à quatre nœuds de vitesse. »
« C’est toujours ça que les Allemands n’auront pas. »
Ils regardaient avec une pointe de tristesse la côte française qui s’éloignait.
« Ca se voit que vous n’êtes pas de la navale. »
« Non, je suis volontaire temporaire dans la gendarmerie. Comment le savez-vous ? »
« Les marins savent que le mon n’est pas un adjectif possessif, mais l’abréviation de monsieur. Et, depuis la défaite de Trafalgar, les officiers n’ont pas le droit d’être appelés monsieur capitaine, dans la marine. Que comptez-vous faire en Angleterre ? »
« Pour un début, écouter la BBC. J’ai une assez bonne notion de l’anglais pour comprendre si on engage des français. »
« Faites comme vous voulez. On y sera vers 22 heures. » Dit le capitaine. « 22 heures du 18 juin 1940 »

by Pacome Cardon 

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